S’équiper de plusieurs optiques de même focale peut surprendre le néophyte, susceptible d’y voir une surenchère matérielle aussi inutile qu’onéreuse. Pour autant, un objectif n’est pas défini par le seul trinôme marque, distance focale et ouverture de diaphragme. D’autres caractéristiques sont ainsi susceptibles d’expliquer d’éventuels “doublons” dans le fourre-tout. Mais quelles sont-elles ?
Les raisons qui justifient l’investissement dans deux, voire trois objectifs de même focale fixe sont pléthores. Les énumérer serait long, fastidieux et non exhaustif, dans la mesure où il est impossible de toutes les répertorier, chaque photographe faisant alors ses choix matériels en fonction de ses besoins et de son expérience. Dès lors, chacun peut débattre sur la question en se fiant uniquement à sa pratique photographique. C’est la raison pour laquelle je propose d’y voir plus clair par l’étude d’un cas personnel : ma triplette de “105 mm”.
J’ai en effet acquis au fil des ans trois modèles différents de cette focale : Micro-Nikkor AF-D 105 mm f/2,8, Nikkor AI-S 105 mm f/2,5 et Nikkor AF-S 105 mm f/1,4E ED. Voyons ce qui justifie l’existence de ce trio dans ma gamme optique…
Premier du lot, le Micro-Nikkor, acheté quelques années avant la sortie du modèle estampillé “VR”, présente l’avantage d’avoir une bague des ouvertures de diaphragme qui le rend compatible avec les soufflets de la marque, tout en étant plus compact que son successeur, raisons pour lesquelles je n’ai jamais investi dans ce dernier, pourtant stabilisé et doté d’une motorisation ultrasonique. Exploité dans sa sphère de prédilection, à savoir la macrophotographie et la prise de vue rapprochée, ce Micro-Nikkor me donne pleinement satisfaction malgré ses limitations, au final aucunement pénalisante pour mon usage. A contrario, les choses se gâtent en portrait, domaine d’utilisation qui m’est cher mais qui outrepasse celui pour lequel l’objectif a été développé. Certes le piqué est bien évidemment au rendez-vous, mais le bokeh s’avère nerveux entre 3 et 5 mètres, voire peu esthétique dans le cas d’un arrière-plan à structure géométrique (grille, grillage, carrelage ou autres). En outre, le micro-constraste, très marqué (et parfaitement adapté à la prise de vue rapprochée), tend à mettre en avant tous les petits défauts de la peau. De fait, cette optique se montre peu adaptée à ma vision du portrait.
J’affectionne toutefois beaucoup sa focale et je me suis donc tourné pour le portrait vers le Nikkor AI-S 105 mm f/2,5, optique qui jouissait d’une excellente réputation (non usurpée) aux heures de gloire de la photographie argentique. En numérique, cet objectif donne des images piquées tout en délivrant un bokeh doux et soyeux (critère important en portrait). Il se montre également très maniable du fait de son faible encombrement. Néanmoins, l’absence de mise au point automatique le rend peu adapté à la photographie d’action. De plus, bien qu’il soit relativement lumineux, son ouverture nominale est nettement inférieure à celle des productions les plus récentes, telles que le Nikkor AF-S 105 mm f/1,4E ED. Ce dernier offre de nombreux atouts : luminosité extrême, excellentes performances optiques, bokeh d’une extrême douceur et autofocus distriminant bien qu’assez peu véloce. Il n’en fallait pas plus pour que je l’ajoute à ma gamme optique, riche désormais de trois focales fixes de 105 mm. Pour autant, chacune d’elles correspond à un usage précis et rationnel :
– Micro-Nikkor AF-D 105 mm f/2,8 : photographie rapprochée, macrophotographie (sur soufflet ou non);
– Nikkor AI-S 105 mm f/2,5 : prise de vue “tranquille” quand je souhaite emporter avec moi un équipement léger et minimaliste;
– Nikkor AF-S 105 mm f/1,4E ED : portrait, photographie en basse lumière (concerts, spectacles et autres).
Ainsi, bien que ces trois objectifs soient de focales identiques, leurs différences prononcées font qu’ils ont chacun leur utilité spécifique. Certes le Nikkor AF-S 105 mm f/1,4E ED est plus polyvalent et performant que le Nikkor AI-S 105 mm f/2,5, mais il est bien plus lourd et moins maniable que ce dernier qui, de ce fait, conserve tout son intéret quand discrétion et mobilité sont essentielles (dès lors que le sujet à traiter est plutôt statique). Et puis, le “gras” d’une bague de mise au point d’un Nikkor AI-S est inimitable… Mais là, nous sommes désormais plus dans le passionnel que dans le rationnel.
Pascal Druel
Diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure Louis Lumière, amoureux d’images et photographe au quotidien, j’explore depuis plus de 30 ans la photographie sous diverses formes (prise de vue, développement et tirage argentique, contrôle qualité, repique, traitement et retouche numérique, graphiste, prise de vue, formateur, photographe indépendant). En outre, je collabore occasionnellement avec Chasseur d’Images (magazine pour lequel j’ai été rédacteur pendant une douzaine d’années), signe des ouvrages (publiés aux Editions Eyrolles), réalise de multiples prestations photographiques (books, reportages, mariages) et couvre en images de nombreux festivals et concerts (150 à 200 scènes par an).