Suite à un été particulièrement chargé en concerts et autres réjouissances, c’est avec un certain retard que je témoigne de ces merveilleux instants vécus au Hellfest. Cette année, l’événement, qualifié de « festival du siècle », se déroula sur sept jours en deux cessions numérotées 1 et 2. Voici comment j’ai vécu les trois jours du Hellfest 1…
Pour les Hellfest 1 et 2, attendus tel des messies depuis les annulations sous couvert de pandémie des millésimes 2020 et 2021, l’année 2022 fut celle de tous les superlatifs, avec une programmation riche de 362 groupes qui induisit une fréquentation record. Dès mon arrivée sur le site dans la journée de jeudi, chaleur et soleil étaient au rendez-vous, présences qui se confirmèrent et s’accentuèrent les jours suivants, contribuant ainsi au caractère exceptionnel de cette édition forte de nombreuses nouveautés. Parmi elles : la construction pour l’occasion du plus grand parking de France, au nord-ouest de Clisson, destiné aux véhicules des festivaliers afin de désengorger la ville en supprimant les stationnements sauvages constatés lors des années précédentes. Un service de navettes fut alors mis en place pour permettre aux « headbangers » de transiter du parking au festival en moins de dix minutes. En pratique, dès le premier jour l’attente à « l’embarquement » s’avère d’autant interminable (parfois plus de deux heures) que le soleil se montre sans pitié, nous donnant ainsi un avant-goût de la chaleur qui régnera durant le festival. Fort heureusement, les organisateurs tirèrent rapidement les leçons de ce désagrément et augmentèrent par la suite le nombre de navettes, fluidifiant ainsi le transport des très nombreux festivaliers. Un second parking, nettement plus petit que le premier et situé à quelques minutes à pied du site du festival, a également été construit dans le secteur est de Clisson.
L’ensemble du site affiche également son lot de changements : implantation de la nouvelle scène Metal Corner, plus grande que celle des précédentes années, sur l’emplacement des défuntes tentes Fury Tent et Party Tent, création de terrasses ornées de nombreux parasols idéales pour se poser à l’ombre entre amis, réorganisation de l’espace d’accueil du Fan Club Hellfest Cult. De même, le parvis de la Cathédrale a aussi bénéficié d’une belle remise à neuf, tandis que celle-ci s’orne d’une belle mise en lumière à la nuit tombée. Autre nouveauté : le sol des immenses tentes abritant les scènes Altar et Temple a été goudronné. En revanche, celui de la Valley est toujours en terre battue. De nouvelles sculptures et autres décorations ont aussi fait leur apparition, la plus belle et la plus impressionnante d’entre elles, culminant à douze mètres de haut, étant celle de feu Lemmy (chanteur emblématique du défunt mais ô combien immortel groupe Motörhead). Cette visite des lieux faite, passons aux festivités…
Vendredi 17 juin –
Chargé de mon sac à dos photo qui affiche allègrement les 15 kg sur la balance, j’entame mon périple photographique par le concert de Laura Cox sur la Mainstage 2. C’est dans une ambiance très blues-rock que la guitariste française et son groupe jouent sept titres, dont Swing It Out, extrait de son dernier album. Le son est plutôt bon, avec une belle mise en avant des instruments, y compris du côté de la rythmique : un set rondement mené qui fait visiblement mouche auprès du public. Quelques minutes plus tard, je me retrouve dans le pit de la scène Temple, en couverture de Numen, référence en matière de black metal basque qui se produit depuis une vingtaine d’années : prestation énergique dont le seul défaut fut sans doute d’avoir été trop courte à mon goût.
Après une courte pause, je rejoins à nouveau la Temple où se produit Mephorash. Les musiciens suédois, engoncés dans leurs tenues inspirées de celles des prêtres orthodoxes, s’appuient sur une ambiance très ritualisée qui leur confère une inertie un peu trop marquée à mon goût, sans aucune place pour l’improvisation. Cela manque donc un peu de vie. Je me rue ensuite à l’autre bout du site, devant la Mainstage 1 pour y photographier Burning Heads. Sans surprise, le show des orléanais assurent, même si je les ai vus plus « sautillants », notamment au Baillarock Festival. Je me rends ensuite de nouveau à Temple, ne voulant absolument pas manquer la prestation de Seth qui fut un vrai régal autant musical que photographique, les bordelais jouant sans complexe sur une évidente théâtralisation de leur black metal efficace et bien construit.
Je continue mon épopée devant l’Altar, en couverture de Gatecreeper, groupe américain de death metal. Ce fut une belle claque musicale offerte par des musiciens investis et débordant d’énergie : un parcours sans faute avec une qualité sonore de bon aloi. Sans prendre le temps de me remettre de mes émotions, je me dirige ensuite vers la Warzone pour y voir Mordred. Commence alors un supplice de 30 minutes d’attente dans la file d’accès au pit, sous un soleil de plomb, fort heureusement récompensé par un excellent concert, au cours duquel le chanteur Scott Holderby court dans tous les sens, bondissant à de multiples reprises. C’est propre, carré, et très animé. Il s’ensuit une « extraction » assez laborieuse de la Warzone, scène qui, victime de son succès, est toujours très encombrée. J’arrive cependant à temps pour y voir Rotting Christ qui joue sur la Temple. J’avais découvert sur scène ce groupe à l’Omega Sound Fest et je ne voulais pas les manquer. L’ambiance est alors survolté et les festivaliers s’adonnent à un wall of death musclé. Cela me redonne un gros coup de fouet au moment où je ressentais les prémices d’une fatigue légitime.
Il est alors autour de 19 heures quand je m’octroie une pause à l’espace VIP surpeuplé. J’y retrouve cependant quelques amis et confrères en compagnie desquels je déguste une pinte de bière bien méritée. Peu de temps après, je me retrouve à nouveau dans le pit de la Temple pour photographier les irlandais de Primordial, dont le black pagan me touche : un bon concert, sans fioriture même s’il y manque toutefois une pincée de folie. C’est un peu trop sage à mon goût.
Peu avant 23 heures, j’attends dans la file des photographes, sous la Temple, l’entrée en scène d’Abbath. Et là ce fut ma première déception. Sans doute en attendais-je trop de ce groupe de black metal norvégien dont j’apprécie la musique, mais force est de constater que les conditions de prises de vue furent catastrophiques : scène couverte de fumées bien trop présentes et denses, éclairage de scène situés uniquement en contre-jour, annihilant ainsi tout l’intérêt visuel des maquillages noir et blanc des musiciens. Quel dommage. Déçu, je prends tout de même quelques clichés sans me faire la moindre illusion sur leur intérêt esthétique. Tout en digérant cette petite contrariété, je me déplace devant la Warzone afin d’y couvrir Cro-Mags. Le chanteur-bassiste Harley Flanagan, en véritable « patron » du groupe, semble comme possédé. Il enflamme la scène en envoûte le public : chapeau bas ! Je quitte ensuite la zone pour Valley, en couverture d’Electric Wizard. Je dois admettre que bien qu’étant assez peu sensible au doom, j’ai été agréablement surpris par la prestation de ces britanniques : ambiance psychédélique sous un éclairage le plus souvent monochrome et tirant sur le rouge, sonorités lourdes et pesantes furent au rendez-vous.
Je conclus ensuite cette première journée via le concert de Suicidal Tendencies que je n’avais encore jamais eu le plaisir de voir sur scène. Or, malgré un début de concert assez laborieux qui entraîna dans le public quelques remarques acerbes et réactions négatives, le concert prit enfin son envol au bout d’une vingtaine de minutes et se conclut en apothéose : certainement l’un de mes meilleurs concerts de la journée. C’est donc satisfait et heureux, le sourire aux lèvres que je prends enfin le chemin du retour, bien décidé à affronter le lendemain qui s’annonce caniculaire.
Samedi 18 juin –
Cette deuxième journée fut la plus chaude du festival, la température y oscillant entre 37 et 41°C : un record ! Il n’est donc guère étonnant de constater que les festivaliers se soient rués sur les points d’eau, au demeurant fort nombreux et bien répartis sur l’ensemble du site. Pour l’occasion, les organisateurs ont même autorisé l’entrée le public a entrer avec une bouteille ou une gourde d’eau (pas d’alcool, bien entendu).
M’étant couché tôt dans la matinée, j’entame tardivement ma journée par un petit séjour devant l’Altar afin d’y voir les amis de Loudblast. Comme toujours, le concert fut excellent ! Une belle mise en bouche pour une journée qui s’annonce chargée. J’enchaîne avec le set de Kampfar donné sur la Temple qui nous irradie d’un show grandiose et puissant : les norvégiens sont en forme ! Après un premier passage à l’espace VIP pour y retrouver quelques confrères tout en me désaltérant, je me rends à l’Altar pour y suivre Taake, autre entité du black metal norvégien. Faisant fi de toutes les polémiques qui agitent le groupe et notamment son chanteur Hoest, qui arbore désormais sans complaisance une allure digne du comte Orlock joué brillamment par Max Schreck dans Nosferatu, film iconique de Friedrich Wilhelm Murnau sorti en 1922. Un vrai régal pour les yeux et les oreilles : une double réussite !
Après une courte pause repas arrosée d’une bonne pinte de bière, je reprends le chemin des pits photo qui me conduit devant Temple lors du concert d’Ensiferum , superbe, donné sous une ambiance électrique, en présence de nuées de slammeurs possédés par la musique. Ensuite, direction l’Altar où s’y produit Sepultura. Les brésiliens, portés par le chanteur Derrick Green, sont en grande, très grande forme ! Le public ne s’y trompe pas et la scène est pleine à craquer. Un superbe moment que je ne suis pas prêt d’oublier. Mes déambulations photographiques me conduisent ensuite face à Temple. J’y retrouve Skàld dans un nouveau line-up, sa chanteuse Justine Galmiche, souffrante, étant alors remplacée pour l’occasion par Chaos Heidi qui, n’en déplaise éventuellement aux fans de la première heure, nous offrit une excellente prestation qui, pour ma part, me toucha nettement plus que celles de la chanteuse originale.
Alors que la fatigue commence sérieusement à s’accumuler, je termine ma journée par le set d’Agressor qui, à ce jour, reste l’un de mes plus beaux moments vécus au Hellfest, toutes éditions confondues. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, je me dois de donner quelques explications. Tout commença au festival Anthems Of Steel qui se déroula en mai dernier et où s’y produisit Agressor et que j’eus le plaisir de photographier. Il s’en suivit une publication sur les réseaux sociaux de quelques images qui m’amenèrent à entrer en contact avec Alex Colin-Tocquaine, chanteur et guitariste du groupe. Apprenant que j’allais couvrir le Hellfest, il me proposa de monter sur scène à la fin de leur set pour la photographie finale, devant le public : une telle offre dans un événement de cette ampleur est rarissime et ne se refuse pas ! Autorisation provisoire spéciale en poche, ou plutôt autour du poignet (une accréditation photo ouvre l’accès au pit photo, mais monter sur la scène reste interdit sans dérogation accordée ponctuellement par l’organisation sur demande des artistes) j’ai donc eu accès à l’envers du décor, au milieu des techniciens tous plus accueillants les uns que les autres. Quelques images plus tard, je croise alors les musiciens quittant la scène, non sans les remercier pour leur confiance et pour leur concert dantesque.
Dimanche 19 juin –
Cette dernière journée du Hellfest 1 commence sous couvert de températures nettement plus clémentes que celles de la veille. J’initie ma moisson d’images par le concert de Sortilège sur la Mainstage 2. Icône du heavy metal hexagonal durant les années 80, le groupe avait disparu quelques années plus tard avant de renaître de ces cendres en 2019, dans un climat de tension tel qu’il aboutit rapidement à une scission entre ses membres, engendrant la création en parallèle de deux Sortilège : situation ubuesque dont il ne reste désormais que la formation menée par le chanteur Zouille. Cette parenthèse historique close, le concert fut excellent, une bonne partie du public reprenant en chœur les refrains des titres déclamés sans faille les uns après les autres.
Je passe ensuite devant le Mainstage 1 lors du set de Lacuna Coil qui fut de belle facture, en particulier grâce à la prestation remarquée de la chanteuse Cristina Scabbia, l’une des deux voix du groupe avec Andrea Ferro, que j’ai toutefois trouvé moins présent sur scène. Du fait d’une programmation du jour particulièrement alléchante sur les deux scènes principales, je continue mes déambulations par un autre passage dans le pit de la Mainstage 2 pour y voir les finlandais de Battle Beast. Quel show ! Les musiciens, galvanisés par la charismatique chanteuse Noora Louhimo, assurent tout au long de leur prestation endiablée pour notre plus grand plaisir.
Un peu plus tard, je repasse dans le pit du Mainstage 2 lors du set de Doro que je tenais à couvrir. Quelle émotion, l’emblématique chanteuse surnommée « The Metal Queen » subjugue le public en lui communiquant son plaisir non feint d’être sur scène. Je suis touché par la sensibilité qui émane de cette grande dame de la scène metal et dont le show est l’un des plus émouvants de ceux que j’ai couverts cette année. Je poursuis ensuite mes pérégrinations devant la Mainstage 1 pour le set de Jinjer. Or, bien que je sois assez peu sensible au groove metalcore de cette formation ukrainienne chapeautée par la chanteuse Tatiana Schmayluk, je la couvre toujours avec grand plaisir, les musiciens se montrant toujours très dynamiques sur scène : un vrai régal pour un photographe de scène.
Je m’offre ensuite une pause au bar VIP avant de me rendre à Valley pour le set de Life Of Agony, à l’évidence joué devant un parterre de fans à en juger par les réactions observées. Le son est bon et les musiciens font honneur à leur public. J’ai apprécié ce moment passé dans le pit. Toujours sous les tentes mais cette fois-ci dans le pit de l’Altar, je couvre ensuite le concert de Devin Townsend, desservi par des éclairage de scène très moyens qui ne rendent pas hommage à la prestation pourtant bonne du groupe. Au final, le résultat est un peu décevant. Je continue sous l’Altar pour y suivre la prestation de Coroner qui sonne comme une vraie leçon de musique : tout, de la richesse des composition à la qualité du son, y est bon.
Les oreilles encore pleines de bon son, je me traîne jusqu’à la file d’accès au pit de la Mainstage 2 pour ne manquer sous aucun prétexte le passage de Running Wild, un groupe qui se fait trop rare en France. J’y arrive tellement en avance que je peux, sans prendre de photos, y suivre le concert de Gojira qui se révèle être pour moi une cruelle déception : aucune communication avec le public, musiciens inertes, comme empaillés. Un constat rude que ne parvient pas à contrecarrer la débauche d’effets et de jeux de lumière mis en avant, que je perçois comme une simple tentative visant à rattraper les choses. Bref, j’oublie vite ce triste moment une fois dans le pit où, avant le concert final, nous avons droit à un magnifique feu d’artifice annonçant la clôture du festival après le dernier set. Et quel beau set ! Running Wild, malgré un décor scénique trop minimaliste à mon goût, joue bien et y prend plaisir. Cela se voit !
Après cet ultime concert, je me glisse vers la sortie, le coeur heureux d’avoir une fois de plus eu la chance de vivre ces merveilleux instants en compagnie de dizaines de milliers d’autres personnes. Ces trois jours de fêtes, intenses, comme tout moment de bonheur, paraissent n’avoir duré qu’un instant. Fort heureusement, tout recommença la semaine suivante. La vie n’est-elle pas belle ?
Pascal Druel
Diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure Louis Lumière, amoureux d’images et photographe au quotidien, j’explore depuis plus de 30 ans la photographie sous diverses formes (prise de vue, développement et tirage argentique, contrôle qualité, repique, traitement et retouche numérique, graphiste, prise de vue, formateur, photographe indépendant). En outre, je collabore occasionnellement avec Chasseur d’Images (magazine pour lequel j’ai été rédacteur pendant une douzaine d’années), signe des ouvrages (publiés aux Editions Eyrolles), réalise de multiples prestations photographiques (books, reportages, mariages) et couvre en images de nombreux festivals et concerts (150 à 200 scènes par an).